Les animés, arme ultime du soft-power japonais
27 août 2022
Et si je vous disais que la japanimation constitue aujourd’hui une véritable arme pleinement employée par le Japon comme une variante des missiles, bombes et autres sarbacanes à air comprimé… Ou presque. 4 000 000 de touristes étrangers au pays du Soleil-Levant en 2000 contre 32 000 000 en 2020. Pourquoi ? Comment ? Mesdames et messieurs, dites bonjour au soft-power nippon et au « Cool Japan » !
J’ai eu la chance (et le courage) de réaliser un mémoire de recherche de quelque 90 pages sur les animés et mangas dans le cadre de mon Master 2 et, ce faisant, j’ai pu découvrir avec un plaisir non dissimulé que les animés (je mets les mangas de côté parce que je fais ce que je veux) ne se limitaient pas à de simples séries, aussi qualitatives fussent-elles. Eh oui, en 2002, un gentil monsieur américain nommé Douglas McGray sort un joli dossier expliquant, en gros, que le Japon est un pays qui claque et qui possède une jolie communauté de fans un peu partout dans le monde. Aujourd’hui ça nous semble évident, mais à l’époque « Japon » connote plutôt « sévérité, menace, froideur, crise économique » et autres (l’article de ce cher Douglas s’appelle Japan’s Gross National Cool, si jamais).
En fait, le petit Doug-Doug nous fait comprendre qu’avec la gastronomie, le sport, les jeux vidéo, la musique et surtout les animés/mangas, y a moyen de rendre le pays vraiment attractif… pour les jeunes. Ok, à l’époque ça concernait plutôt les 5-20 ans, mais 10/15 ans plus tard, les nenfants pourraient être toujours intéressés par le pays, ce qui implique : propager la culture, étudier la langue, acheter les produits des marques nationales ou même visiter l’île.
L’idée était lancée : utiliser les animés pour faire du Japon la plus grande puissance culturelle du monde. En 2010, le gouvernement japonais opte officiellement pour la stratégie du « Cool Japan », visant à augmenter considérablement le soft-power japonais. Le Joker avait tout compris : quand on a un talent on se doit d’en tirer profit.
Faites-moi confiance sur la fiabilité des données qui suivront, j’ai suffisamment bossé dessus.
Quelques chiffres
Histoire de comprendre un peu l’efficacité du plan, je vais poser là quelques chiffres avant d’expliquer un peu comment ça fonctionne :
Ventes des mangas de L’Attaque des Titans dans le monde : 100 millions d’exemplaires. En comparaison, Astérix et le Griffon (un des derniers albums) : 5 millions.
Le film Demon Slayer sorti en 2021 : 610 288 entrées en 2 semaines (top 9 dans l’histoire de l’animation japonaise en France)
1 BD sur 2 vendue en France est un manga
51% des moins de 18 ans regardent des animés quotidiennement France (une étude datant de 2014 mais bon, ça n’a pas dû trop bouger)
Ventes de mangas dans le monde : 5,2 milliards d’euros ; 19 milliards de dollars pour les animés
60 à 70 % des étudiants qui étudient le japonais y ont été amenés par les mangas et dessins animés (c’est pas moi qui le dis mais la Directrice de l’Institut Français de Recherche sur le Japon et enseignante en littérature japonaise à Paris-Diderot. No fake)
En 2010, 150 000 touristes français au Japon ; ça passe à 300 000 en 2018 (le double donc, pour les – gros – nuls en calculs)
4,6% des 32 millions de touristes au Japon en 2019 venaient visiter des lieux de décor de films et d’animés (1,4 millions de personnes en gros), sans parler de ceux attirés par des endroits comme Akihabara
Quelques explications
Comment ça fonctionne tout ça ? Comment on passe de « diffuser des dessins animés » à « être la première puissance culturelle mondiale » ? Eh bien, sur le papier, c’est extrêmement simple. On l’a même déjà dit un peu plus haut en quelque sorte.
L’avantage des animés dans le cadre de cette stratégie de soft-power, c’est leur diversité. Sport, horreur, romance, comédie, porno, fiction, psychologique, contemplation, uchronie, gastronomie, dystopie, poêle à bois (celui-là j’ai pas vérifié mais qui sait ?)… ça touche absolument tous les publics, tous les âges et tous les goûts ! Maintenant qu’on sait qu’il y a théoriquement 8 milliards de prospects, il suffit de faire en sorte de pouvoir diffuser tout ça plus ou moins partout. Concrètement, on parle principalement des pays comme les USA, l’Europe, Chine/Corée (donc des pays suffisamment riches pour consommer), et la suite devient logique :
Un random regarde des animés
Il y découvre différents aspects du Japon qui lui plaisent (peu importe le ou lesquels)
Il partage tout ça avec son entourage (un petit coup de pub ça ne fait jamais de mal)
Il finit par transposer son amour pour l’œuvre de fiction dans la réalité (achat de produits dérivés ou de jeux/jouets, apprentissage de la langue…)
A une échelle mondiale, ça crée un intérêt suivi d’une demande extrêmement forte (qui se compte en millions voire en dizaines de millions de personnes)
Ultimement, notre random adoré se rend en visite en Japon, où il consomme de nouveau et où il intègre les chiffres officiels produits par les autorités nippones qui finissent par faire comprendre aux autres pays qui pèsent dans l’game. CQFD.
Après, ça ne s’arrête pas là, bien sûr. Le gouvernement japonais doit en effet collaborer avec les entreprises privées concernées pour coordonner tout ça. C’est d’ailleurs l’essence du plan « Cool Japan » : il faut organiser les exportations, obtenir des partenariats avec les universités du monde entier, veiller à ce que toute l’industrie du tourisme dispose des moyens d’accueil nécessaires, vendre les droits de diffusion, assurer que la qualité de l’offre se maintienne… sachant que tout cela implique également la prise en compte de la conjoncture, de la concurrence avec d’autres industries, l’envoi « d’émissaires » dans les clubs de sport ou les FAC à l’international et tout un tas d’autres choses.
En fait, c’est affreusement compliqué.
Par contre, une fois que la machine est en place, et toute perturbation viruso-covidienne mise à part, ça devient difficile de la freiner ou de rivaliser. Il suffit de voir comment les blockbusters américains se font déglinguer tandis que les films d’animation japonais montent en puissance pour se rendre compte que le Japon a bel et bien réussi son pari vieux de 20 ans maintenant.
Qu’est-ce qu’on dit ? Merci Douglas !